En bordure
Ailleurs l’histoire fut moins claire. Des Villes basses prospéraient dans l’ignorance de la mer assises entre leurs cinq collines et leurs biches de fer ;
Ou s’élevant au pas du pâtre, parmi l’herbe, avec les mules de litière et les attelages du publicain, elles s’en allaient peupler là-haut tout un versant de terres grasses, décimables.
Mais d’autres, lasses, s’adossaient à l’étendue des eaux par leurs grands murs d’asiles et de pénitenciers, couleur d’anis et de fenouil, couleur du séneçon des pauvres.
Et d’autres qui saignaient comme des filles-mères les pieds tachés d’écailles et le front de lichen, descendaient aux vasières d’un pas de vidangeuses.
Port d’échouage sur béquilles. Tombereaux aux marges des lagunes, sur les entablements de maërl et de craie noire.
Nous connaissons ces fins de sentes, de ruelles ; ces chaussées de halage et ces fosses d’usage, où l’escalier rompu déverse son alphabet de pierre. Nous t’avons vue, rampe de fer, et cette ligne de tartre rose à l’étiage de basse mer,
Là où les filles de voirie, sous les yeux de l’enfance, se dépouillent un soir de leur linge mensuel.
Ici l’alcôve populaire et sa litière de caillots noirs. La mer incorruptible y lave ses souillures. Et c’est un lapement de chienne aux caries de la pierre. Il vient aux lignes de suture un revêtement doux de petites algues violettes, comme du poil de loutre…
Plus haut la place sans margelle, pavée d’or sombre et la de nuit verte comme une paonne de Colchide – la grande rose de pierre noire des lendemains d’émeute et la fontaine au bec de cuivre où l’homme saigne comme un coq.
Saint-John Perse, Amers suivi de Oiseaux, Paris, Gallimard, « NRF », 1957, p. 29.