Une honorable couille 

Pendant très longtemps on imputa, en tout bien tout honneur, à l’eau des puits la hernie du scrotum dont tant d’hommes en ville souffraient sans pudeur et même avec quelque insolence patriotique. Lorsque Juvénal Urbino allait à l’école primaire il ne pouvait éviter un sursaut d’horreur lorsqu’il voyait les hernieux assis sur le seuil de chez eux les après-midi de chaleur, éventant leur testicule énorme comme un enfant endormi entre leurs jambes. On disait que la hernie émettait un sifflement d’oiseau lugubre lors des nuits de tempête et se tordait en une insupportable douleur quand on brûlait près d’elle des plumes de charognards, mais personne ne se plaignait de ses inconvénients car une grosseur bien portée s’exhibait par-dessus tout comme un honneur d’homme. Lorsque le docteur Juvénal Urbino était revenu d’Europe il savait très bien que ces croyances étaient une supercherie scientifique, mais elles étaient à ce point enracinées dans la superstition locale que beaucoup s’opposaient à l’enrichissement minéral de l’eau des puits de peur qu’il ne leur ôtât la vertu d’être la cause d’une honorable couille.

Gabriel García Marquez, l’Amour au temps du choléra, trad. Annie Morvan, Paris, Grasset, « Le livre de poche », p.144

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