Œuf au lit
Ce matin, au chaud dans mon lit, douillettement pelotonné, fort bien réveillé, en ce sens que je prends parfaitement conscience de ma position, de l’heure, de la qualité du jour, de la rumeur de la rue, de tous les objets qui m’entourent, je songe que je devrais raisonnablement me lever, mais cette idée rôde inerte et nul mouvement préparatoire ne l’accompagne : un tégument plus fin que celui qui double la coque de l’œuf m’ensache encore et m’isole – pour un instant, merveilleusement – non du monde de la lumière, des couleurs, du temps, du bruit, mais du tableau de bord de la volition ; l’embrayage du corps sur l’esprit, qui va donner le signal du début de la journée, hésite et patine, et tarde un moment encore à se mettre en place.
Julien Gracq, Nœuds de vie, Paris, Corti, 2021, p. 58-59.