Une plage bretonne
Quelques pas sur le sable, après le dîner. Plage noble, mélancolique et glorieuse, les vitres du front de mer toutes à la fois incendiées par le soleil couchant comme un paquebot qui s’illumine. Ce sable vide, encore chaud, tiède comme une plage de chair et qu’on voudrait fouler, couvrir, souiller naïvement comme elle. Et pourtant l’air est si chaste, si purement froid, si transparent, comme lavé sans cesse par d’invisibles averses. Un doux gargouillis dans une rigole de sable (la marée baisse) travaille à appareiller à la terre ce paysage de déluge — bruit presque humain déjà des eaux canalisées, comme la hache du bûcheron qui défriche. J’ai respiré, ah! quelle gorgée ! Le sable volait légèrement sur les dunes, l’air claquait comme de grandes oriflammes, droites dans le fil du vent, avec ce fouettement félin de la queue. Et vers l’horizon l’affairement de ces vagues pressées, toujours ce branle-bas d’écumes, cette usine d’émeutes, ces embarras de nuages rayés de grains et de soleil, ce train hargneux des houles, cette hâte inépuisable de la mer l’arrière-plan.
Julien Gracq, Un beau ténébreux, Paris, Corti, 1945, p. 17