La bagarre des patapoufs
Tout de suite ça recommence la bagarre entre les deux patapoufs. Les insultes, les menaces, sur le ventre même de la dame… Elle tout en dessous qu’elle hurle à mort !…
Boro attrape le vieux aux tiffes… Ah ! c’est maintenant qu’il va le sonner !… Le turban voltige !… Il le serre au quiqui !… qu’il l’étrangle comme ça, nom de Dieu !… Il prend la cliente à témoin… comment qu’il va étrangler le vieux…
– Et qu’il voulait m’assassiner !… Je vous le dis, Madame, un pirate… Païrate ! I say Madam…
Et puis, pour mieux lui faire comprendre, ils retombent à deux sur la cliente, ils la défoncent énormément… ils roulent dessus au corps à corps… c’était juste une très mince personne… Elle venait emprunter sur son « titre », son obligation mexicaine… Elle la tient encore dans sa main… Ah ! elle la lâche pas !… elle l’agrippe… Elle avait trop peur des voleurs !… et elle arrête pas de glapir…
– Help ! Help ! The door please !… the door… La porte !… Mais Boro voulait pas qu’elle file… Il se cramponnait après sa jupe !… pendant qu’il serrait l’autre au col… Il avait peur qu’elle hurle dehors… mais voilà le calife qui s’échappe !… en se raplatissant, en se rendant mou mou sous les prises… d’énorme il s’était comme fondu tout ratatiné sous la force… tout son gros cul, son gros benouze… il glisse… se dissout… il s’échappe… voilà comme il est ! Vlouf !… et le revoilà debout !… Tout ballon ! Il a rejailli du combat ! Il saute sur un grand couteau qu’est là sur la table… Heureusement, je suis prompt aux gestes, je l’accroche aux froufrous… aux bouffants… j’y arrache toutes ses soieries, culbute !… Parataboum !… Fesses en l’air !… Ah ! j’avais bien fait de venir !… Du coup Boro lâche sa cliente… il empoigne une carabine dans le porte-parapluie, une Winchester de « grande chasse », une terrible massue… et il court après l’Affreux !… Le combat continue ! Il va l’assommer à coups de crosse ! Il brandit haut son tromblon ! C’est une mêlée dans le fond de la pièce !… C’est tout renfermé… calfeutré… Je vois à peine… juste la lumière d’une lampe à eau… un système baroque sur la table, là près de la cliente une grosse boule… une bobèche à huile dessous…
Je vois un peu la transe… la manière qu’ils se sonnent tous les deux… Je veux sauver au moins la dame !… ma présence d’esprit !… Je la rattrape dans le tas de vaisselle… je l’extirpe encore par son jupon… j’arrache ! Oh ! hiss ! j’amène tout ! Je la requinque ! d’aplomb ! elle chancelle !… elle tient plus du tout en l’air ! elle se rassoit… elle souffle…
Dans le fond… dans l’obscurité… les deux continuent atroce ! la lutte ! des « Han !… Han !… » formidables !… Le vieux, sa sacoche se retourne !… Il l’avait en bandoulière… dzing !… ding !… ding !… Tout barre !… débouline… cascade !… s’étale… tinte partout !… Tout un flot d’or !… des pièces !… des pièces !… Ils continuent à s’étrangler !… ils se roulent l’un dans l’autre… en plein or !… des prises atroces… Ils arrivent tout contre la cliente… Ils la refoutent par terre de sa chaise !… Elle roule encore une fois en dessous… Elle est reprise dessous les lutteurs !… elle est écrasée !…
– Mister ! Mister ! qu’elle supplie !… The door please !… the door ! La porte !… elle recommence…
Je peux plus l’arracher aux furieux, maintenant c’est fini ! ils sont arc-boutés sur elle… elle est raplatie totalement !… je rampe vers la porte… J’abandonne !… de l’air ! … j’en peux plus !… Je crève aussi !… Une bouffée là !… Un souffle ! Par pitié ! J’arrive !… Ouf ! hop ! je pousse ! La porte ! Le vent frais ! Ah ! le vieux suffoque ! « Oach ! » affreux… En plein pancrace comme ça sur l’autre, dans le fond, dans le noir, à bras le corps… Ça l’a saisi l’air ! net suffoqué !… C’était trop frais ! Asthme ! Asthme !… qu’il me râle ! qu’il étrangle !… dégueule !… Ah ! il va crever positif… ses yeux qui roulent ! Et tout s’écroule ! caftan, soieries, bouffants, bonhomme… Il est là au sol… il bave… gronde… On y dégrafe sa casaque, il convulse, écume, saloperie !… il va passer !… Il révulse des calots comme ça !… La cliente elle pirouette de peur… elle s’envole à travers la porte !… elle nous laisse tout là !… ses objets, son sac !… ses Obligations !…
Louis-Ferdinand Céline, Guignol’s band, Paris, Gallimard, folio, 1951, pp.172-175.