La nouvelle alliance
Les vocables se meuvent avec le navire ; le lieu du Verbe, c’est la forêt. Le Verbe repose sous les vocables comme le fond d’or sous le tableau d’un primitif. Si donc le verbe n’anime plus les vocables, leur flux recouvre un silence terrible, qui s’étale – tout d’abord dans les temples, qui se changent en tombeaux pompeux, puis dans leur parvis.
La manière dont la philosophie quitte la connaissance pour s’appliquer au langage est un évènement d’une portée considérable : il met l’esprit en contact avec un phénomène des origines. Ce fait à plus de poids que toutes les découvertes de la physique. Le penseur pénètre en une contrée où il peut enfin conclure une nouvelle alliance, non seulement avec le théologien mais avec le poète.
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La langue ne vit pas de ses lois propres ; sinon, les grammairiens régiraient le monde. Dans l’abîme des origines, le Verbe n’est plus forme ni clef. Il devient identique à l’être. Il devient pouvoir créateur. Et là réside sa vertu infinie, qui ne se monnaie pas. Et il ne saurait y avoir ici que des approches. Le langage se tisse autour du silence, comme l’oasis s’ordonne autour d’une source. Et le poème confirme que l’homme a découvert l’entrée des jardins intemporels. Acte dont vit ensuite le temps.
Jusqu’en des siècles où la déchéance du langage en fait l’instrument des techniciens et des bureaucrates, lors même qu’il tente, pour se donner un faux air de fraîcheur, d’emprunter des termes à l’argot, il demeure inaltéré, quant à son immuable puissance. Le gris, la poussière n’apparaissent qu’à sa surface. Il suffit de creuser plus avant pour atteindre, dans chaque désert, la strate d’où le flot jailli. Et s’élève, avec ces eaux, une fécondité nouvelle.