La rencontre de trente avec trente 

L’âme des trente oiseaux s’anéantit de honte

Alors, le corps en poudre, ils obtinrent la Vie

Purifiés de tout, détachés, libérés

Ils furent vivifiés par l’éclat de Sa gloire

Le lien qui les liait à l’Être souverain

En fut renouvelé ; prenant nouvelle vie

Ils furent stupéfaits de nouvelles manières

Tous leurs actes passés et tous leurs manquements

Disparurent à jamais, effacés de leurs cœurs

Le soleil éclatant de la Proximité

Resplendit du lointain, et irradia leur être

Alors dans le reflet de 1a Sîmorgh des mondes

Ils virent, luminescente, la Face souveraine

Ils virent reflétés trente oiseaux, les sî morgh

Ils virent que Sîmorgh n’était autre qu’eux-mêmes 

Que sans l’ombre d’un doute Sîmorgh était sî morgh

Stupéfiés de se voir autres et pourtant eux-mêmes

Ils ne savaient plus quoi, avant d’être cela

C’était exactement la Sîmorgh qu’ils voyaient

Et Sîmorgh était là ; et Elle était sî morgh

Quand ils La regardaient, Sîmorgh était Sîmorgh

Quand ils se regardaient, ils étaient bien sî morgh

Pourtant, ils étaient autres et Sîmorgh était là

Et quand ils regardaient et Sîmorgh et eux-mêmes

Ils ne se voyaient qu’Un, en Sîmorgh, ou bien presque

Ceci était ceux-là et les uns étaient l’Autre

Personne n’entendit jamais pareille chose !

Les oiseaux submergés par la perplexité

Tentaient de le penser, mais sans pouvoir penser !

Ne pouvant rien comprendre, les oiseaux hébétés

Sans user de la langue, interrogèrent Sîmorgh

Ils demandèrent la clé de ce puissant mystère

Et la résolution de ce « toi » qui est « nous »

Sa Majesté Sîmorgh leur dit, mais sans parler :

« Le Soleil de la Majesté est un miroir

Celui qui vient à Elle ne peut voir que lui-même

Il se voit corps et âme, tout entier reflété 

Vous êtes venus trente et c’est aussi pourquoi

Ce miroir vous renvoie l’image de trente oiseaux

Quand vous seriez venus à quarante ou cinquante

Vous n’auriez pu lever ce voile que sur vous-mêmes

Vous avez cherché l’Autre en cheminant longtemps

Vous ne voyez pourtant que vous, vous seulement !

Car quel regard jamais peut atteindre où Nous sommes ?

La vue d’une fourmi peut-elle voir les Pléiades ?

Avez-vous jamais vu de par le vaste monde

Une pauvre fourmi se saisir d’une enclume

Ou bien un moucheron happer un éléphant ?

Tout ce que vous saviez, à cette vue, n’est plus

Ce que vous avez dit ou entendu, non plus

Vous avez traversé les sept hautes vallées

Et vous avez fait preuve d’un courage viril

Pourtant c’est dans Mes œuvres que vous cheminiez

Vous n’avez que rêvé la vallée de l’Essence

Vous étant endormis au creux des Attributs

Vous voilà trente oiseaux hébétés et perplexes

Aux cœurs enamourés, impatients et sans vie

Mais Moi, Je suis la seule véritable Sîmorgh

Je suis la pure Essence de l’Oiseau souverain ;

Il vous faut maintenant, dans la grâce et la joie

Annihiler votre être tout entier en Moi

Afin de vous trouver vous-mêmes dedans Moi. »

 Ils s’annihilèrent donc, cette fois pour toujours

Et l’ombre disparut dans le Soleil, enfin !

Pendant qu’ils cheminaient, la parole régnait

Une fois le but atteint, il ne resta plus rien

Ni début et ni fin, ni guide, ni chemin

Et c’est pourquoi, ici, la parole s’éteint. 

Farid od-din Attâr, Le cantique des oiseaux, trad. Leili Anvar, Paris, Diane de Selliers, 2014, pp.331-333.

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