L’apocalypse et la descente aux profondeurs
Taciturne en l’auberge déserte sous les solives enfumées, j’étais assis solitaire devant mon vin ; un rayonnant cadavre incliné sur de l’obscur et à mes pieds gisait un agneau mort. D’un bleu en dissolution émergea la silhouette blême de la sœur et ainsi parla sa bouche sanglante : Pique, ronce noire. Hélas, mes bras d’argent tintent encore des orages sauvages. Coule, sang, des pieds de lune qui éclosent sur les sentiers nocturnes où se faufile le rat couineur. Danse, lumière des étoiles, sous le galbe de mes sourcils ; et tout bas raisonne le cœur dans la nuit. A surgi dans la demeure une ombre rouge armée d’un glaive flamboyant, puis s’est enfuie, le front neigeux. Ô mort amère.
C’est alors qu’une voix obscure sortit de moi : À mon moreau dans la forêt nocturne j’ai brisé l’échine, lors que de mes yeux pourpres jaillissait la folie. L’ombre des ormes tomba sur moi, le rire bleu des sources et la fraicheur noire de la nuit, lors que sauvage chasseur je relançais un gibier de neige ; que dans l’enfer de pierre ma face se mourut.
Et chatoyante tomba une goutte de sang dans le vin du solitaire ; et lors que j’en buvais, il fut plus amer que le pavot ; et un nuage noirâtre enveloppa ma tête, les larmes de cristal d’anges maudits ; tout bu coula le sang de la blessure d’argent de la sœur et tomba sur moi une pluie de feu.
Georg Trakl, Poèmes II, trad. Jacques Legrand, Paris, GF-Flammarion, 1993,p.321