Le Chemin
Le Chemin est l’expression matérielle d’un rapport à travers une distance, le moyen permanent d’une communication et l’invitation vers un but ou dans une direction, à un pas. L’esprit dans une espèce de métaphore instantanée envisage deux idées à la fois, mais il faut toutes les ressources de la patience et de la syntaxe pour établir de l’une à l’autre, suivant toutes les étapes avec art de la ponctuation, un ruban praticable d’écriture. Le Besoin, un pic, une pelle, un levier, une hache et souvent un glaive, à la main, marche devant l’Humanité dans cette ligne que d’avance l’œil avec intelligence, prenant acte de l’horizon, a reconnue. C’est la nature souvent, qui, mettant sous nos pieds tout un système de pentes, de cols et de paliers, nous engage, bien plus on dirait souvent qu’elle nous entraîne, et il n’y a pas moyen de lui résister. Les animaux eux-mêmes connaissent ces sillons tracés d’avance, et l’on m’a montré à travers les Alleghany, un buffalo trail qu’utilisaient pour leurs migrations de l’Est à l’Ouest les peuples quadrupèdes. Les continents ne forment pas une plaque invariable et immobile. Il y a une balance entre les climats et les saisons, il y a une respiration qui est le vent, il y a des passages réguliers dans le ciel, et je ne dis pas seulement celui des étourneaux et des canards, il y a l’appel de la mer, il y a surtout cette complaisance générale et complexe de la terre à la pente, qui donne lieu aux fleuves. Tout est fonction du poids et d’un mouvement longuement médité qui finit par se réaliser. Il y a un besoin général de l’autre chose et de l’autre part.
Paul Claudel, L’œil écoute, Paris, Gallimard, folio essais, 1946,p.134.