L’empourpré

Blanc je le suis en vérité ; je suis un très ancien, un sage dont l’essence est lumière. Mais celui-là même qui t’a fait prisonnier dans le filet, celui qui a jeté autour de toi ces différentes entraves et commis ces geôliers à ta garde, il y a longtemps que lui-même m’a projeté, moi aussi, dans le Puits obscur. Et telle est la raison de cette couleur pourpre sous laquelle tu me vois. Sinon, je suis moi-même tout blanc et tout lumineux. Qu’une chose blanche quelconque, dont la blancheur est solidaire de la lumière, vienne à être mélangée avec du noir, elle apparait alors en effet rougeoyante. Observe le crépuscule et l’aube, blancs l’un et l’autre, puisqu’ils sont en connexion avec la lumière du soleil. Pourtant le crépuscule ou l’aube, c’est un moment entre-deux : un côté vers le jour qui est blancheur, un côté vers la nuit qui est noirceur, d’où la pourpre du crépuscule du matin et du crépuscule du soir. Observe la masse astrale de la Lune au moment de son lever. Bien que sa lumière soit une lumière qu’elle emprunte, elle est vraiment revêtue de lumière, mais une de ses faces est tournée vers le jour, tandis que l’autre est tournée vers la nuit. Aussi la Lune apparaît-elle empourprée. Une simple lampe fait apparaître la même vertu ; en bas, la flamme est blanche ; en haut elle tourne en fumée noire ; à mi-hauteur elle apparaît rougeoyante.

Sohrawardi, L’Archange empourpré, tr. Henry Corbin, Paris, Fayard, 1976, p. 203. 

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