Les bouts de reste

Le fragment fascine sans doute aussi par ce caractère un peu ruiniforme, dépressif. Il est ce qui s’est effondré et reste comme le vestige d’un deuil. Il est la citation, le reliquat, le talisman, l’abandon, l’ongle, le bout de tunique, l’os, le déchet d’une civilisation trop ancienne ou trop morte. Morceaux où se lit quelque chose de séparé par la mort, par le temps, isolé, désolé pathétiquement dans la relique. Il convient plus que toute autre forme littéraire à la confession de soi, à la complaisance à soi, à la suffisance, au journal intime, au sentiment d’usure et d’antiquité d’une civilisation sans doute trop endurante ou du moins de toutes parts bletties, au refuge de plus en plus subjectif, abstrait et abandonné, à ce regard tendu vers les bouts de reste. Il est détritus et il est singularité.

Pascal Quignard, Une gêne technique à l’égard des fragments. Essai sur Jean de La Bruyère, Paris, Galilée, 2005, p. 50.

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