Grand amour avunculaire
— Henriette, idole dont le culte l’emporte sur celui de Dieu, lys, fleur de ma vie, comment ne savez-vous donc plus, vous qui êtes ma conscience, que je me suis si bien incarné à votre cœur que mon âme est ici quand ma personne est à Paris ? Faut-il donc vous dire que je suis venu en dix-sept heures, que chaque tour de roue emportait un monde de pensées et de désirs qui a éclaté comme une tempête aussitôt que je vous ai vue…
— Dites, dites ! Je suis sûre de moi, je puis vous entendre sans crime. Dieu ne veut pas que je meure ; il vous envoie à moi comme il dispense son souffle à ses créations, comme il épand la pluie des nuées sur une terre aride ; dites ! dites ! m’aimez-vous saintement ?
— Saintement.
— À jamais ?
— À jamais.
— Comme une vierge Marie, qui doit rester dans ses voiles et sous sa couronne blanche ?
— Comme une vierge Marie visible.
— Comme une sœur ?
— Comme une sœur trop aimée.
— Comme une mère ?
— Comme une mère secrètement désirée.
— Chevaleresquement, sans espoir ?
— Chevaleresquement, mais avec espoir.
— Enfin, comme si vous n’aviez encore que vingt ans, et que vous portiez votre petit méchant habit bleu du bal ?
— Oh ! mieux. Je vous aime ainsi, et je vous aime encore comme… Elle me regarda dans une vive appréhension… comme vous aimait votre tante.
Honoré de Balzac, Le Lys dans la vallée, Paris, Gallimard, coll. “Folio classique”, 2004, pp.203-204.