Cette photographie, ta dernière

Cette photographie, ta dernière, je l’ai laissée sur le mur, où tu l’avais mise, entre les deux fenêtres,

Et le soir, recevant la lumière, je m’assieds, sur cette, chaise, toujours la même, la regarder, où tu l’as posée, entre les deux fenêtres,

Et ce que l’on voit, là, recevant la lumière, qui décline, dans le golfe de toits, à gauche de l’église, ce qu’on voit, les soirs, assis sur cette chaise, est, précisément,

Ce que montre l’image laissée sur le mur, sur le papier brun sombre du mur, entre les deux fenêtres, la lumière,

Avance, en deux langues obliques, coule, dans l’image, vers le point exact où le regard qui l’a conçue, le tien, a conçu, de verser indéfiniment de la lumière vers qui, moi, la regarde,

Posée, au coeur, de ce qu’elle montre,

parce qu’en ce coeur, le coeur de ce qu’elle montre, que je vois, il y a aussi, encore l’image elle-même, contenue en lui, et la lumière, entre, depuis toujours, depuis le golfe de toits à gauche de l’église, mais surtout il y a, ce qui maintenant manque

Toi. parce que tes yeux dans l’image, qui me regardent, en ce point, cette chaise, où je me place, pour te voir, tes yeux,

Voient déjà, le moment, où tu serais absente, le prévoient, et c’est pourquoi, je n’ai pas pu bouger de ce lieu-là.

Jacques Roubaud, Quelque chose noir, « Cette photographie, ta dernière », Paris, Gallimard, coll. « nrf », pp.91-92. 

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