Péteur interpelé
Et puisque j’en suis aux souvenirs marquants de ce temps, en voici encore un. Je suis dans la classe avec le très bon maître qui m’aime entre tous. Le maître est au tableau nous tournant le dos. À cet instant le garçon qui se trouve juste derrière moi lâche un pet. Le maître se tourne alors et me regarde d’un air désolé plein de reproches : « Toi, Louis… » Je ne dis rien, tant je me convaincs que c’est moi qui ai pété. Je suis couvert de honte, comme tout vrai coupable. En désespoir de cause, je conte l’affaire à ma mère, qui connaissait très bien le maître qui l’avait formée à l’enseignement, et qu’elle aimait : « Es-tu bien sûr que ce n’est pas toi qui as » (elle n’osa pas prononcer le mot) « fait cette chose affreuse ? C’est un homme si bon, il ne peut pas se tromper. » Sans commentaires.
Louis Althusser, L’avenir dure longtemps, Paris, Champs, coll. « Champs essais », 2013.