Tragique, comique, contraires

C’est à cette époque que nous commençâmes à jouer aux devinettes des noms tragiques et comiques. Dans le jeu que j’inventai, tous les noms se classent en noms masculins, féminins ou neutres, mais en même temps il faut pouvoir séparer les noms tragiques des noms comiques. Par exemple, bateau à vapeur et train sont tous deux des noms tragiques, le chemin de fer électrique de la ville et le bus sont tous deux comiques. Pourquoi ? Il ne faut pas se placer au point de vue artistique ; l’auteur qui introduit dans le comique un seul élément tragique perd de ce fait et il en va de même pour le tragique.

Je demandai :

— Tu es prêt ? « Tabac » ?

— Tragique ! répondit immédiatement Horiki.

— « Remède. »

— En poudre ou en pilules ?

— En piqûres.

— Tragique.

— Crois-tu ? On fait bien des piqûres d’hormones ?

— Non. C’est tellement tragique. L’aiguille, d’abord. Et toi, n’es-tu pas un exemple tragique splendide ?

— Ça va. J’ai perdu. Cependant « remède », « médecin », sont comiques. La « mort » ?

— Comique ! Pour un pasteur protestant comme pour un bonze.

— Cela, c’est épatant ! La « vie », c’est tragique, n’est-ce pas ?

— Erreur ! C’est comique aussi.

— Non, ou alors tout est comique. Tout de même, je vais t’en demander un autre. « Caricaturiste » ? Tu ne diras pas que c’est comique !

— Tragique ! Tragique ! Extrêmement tragique !

— Quoi ? L’extrêmement tragique, c’est toi !

De tels propos, qui finissaient par ressembler à des élucubrations d’ivrognes, étaient peu intéressants. Cependant nous ne fûmes pas peu fiers de voir ce jeu, qui n’existait pas encore dans les salons, devenir l’objet d’une grande vogue.

À cette époque, j’inventai un autre jeu semblable, celui des contraires. Le contraire de « noir », c’est « blanc », mais le contraire de « blanc » c’est rouge et celui de « rouge », c’est « noir ».

— Le contraire de « fleur » ? demandai-je.

La bouche de Horiki se plissa ; il réfléchit.

— Attends… Il y a un restaurant qui s’appelle : « Fleurs et lune. » Alors c’est « lune » !

— Non. Ce n’est pas le contraire cherché. Ce serait un synonyme plutôt qu’un antonyme. Si l’on prend « étoile » et « violette », est-ce que ce ne sont pas des synonymes : elles n’ont pas de pieds.

— J’ai compris. Eh bien, c’est « abeille ».

— Abeille ?

— Sur une pivoine… une fourmi ?

— Comment ! Ce sont des motifs d’art. Il ne faut pas tricher.

— J’y suis ! Sur les fleurs des nuages épais…

— N’est-ce pas : sur la lune des nuages épais…

— Sur les fleurs, le vent… C’est le vent ! Oui, l’antonyme de « fleur », c’est « vent ».

— Ce n’est pas fameux. Est-ce que ce ne sont pas là des vers de naniwabushi ? Il n’y a pas besoin de chercher d’où cela vient.

— Non, cela se chante sur le biwa.

— C’est encore moins bien. Le contraire de « fleur », tiens… Comme en général le monde n’a rien de commun avec les fleurs, c’est « monde » que je proposerais.

— Alors… attends un peu… qu’est-ce que c’est ? N’est-ce pas « femme » ?

— À propos, le synonyme de « femme » ?

— « Viscères. »

— Mon cher, tu ne connais vraiment pas la poésie. Alors, l’antonyme de « viscères » ?

— « Lait. »

Osamu Dazaï, La déchéance d’un homme, trad. Georges Renondeau, Paris, Gallimard, coll. « nrf », 1962.

Suggestions