L’imperméable

Si on jetait l’imperméable ? dit Camier. À quoi nous sert-il ?

Il retarde l’action de la pluie, dit Mercier. 

C’est un linceul, dit Camier.

N’exagérons rien, dit Mercier. 

Veux-tu que je te dise toute ma pensée ? dit Camier. Celui qui le porte est gêné, au physique comme au moral, au même titre que celui qui ne le porte pas. 

Il y a du vrai dans ce que tu dis, dit Mercier. 

Ils regardèrent l’imperméable. Il s’étalait au pied du talus. Il avait l’air écorché. Des lambeaux d’une doublure à carreaux, aux tons charmants d’extinction, adhéraient aux épaules. Un jaune plus clair marquait les endroits où l’humidité n’avait pas encore traversé. 

Si je l’apostrophais ? dit Mercier.

On a le temps, dit Camier.

Mercier réfléchit.

Adieu, vieille gabardine, dit-il.

Le silence se prolongeant, Camier dit : 

C’est ça ton apostrophe ?

Oui, dit Mercier.

Allons-nous-en, dit Camier.

Alors on ne le jette pas ? dit Mercier.

On le laisse là, dit Camier. Pas la peine de se fatiguer. 

J’aurais voulu le lancer, dit Mercier. 

Laissons-le là, dit Camier. Peu à peu les traces de nos corps s’effaceront. Sous l’effet du soleil il se repliera, comme une feuille morte. 

Et si on l’enterrait ? dit Mercier. 

Ce serait de la sensiblerie, dit Camier. 

Pour pas qu’un autre le prenne, dit Mercier, un vermineux quelconque. 

Qu’est-ce que ça peut nous faire ? dit Camier.

Évidemment, dit Mercier, mais ça nous fait quelque chose. 

Samuel Beckett, Mercier et Camier, Paris, Minuit, coll. « double », 2006, pp. 94-95.

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