Les larmes sucrées
En fin de compte, ne conviendrait-il pas de dire que le fait pathologique n’est saisissable comme tel, c’est-à-dire comme altération de l’état normal, qu’au niveau de la totalité individuelle consciente, où la maladie devient une espèce de mal ? Être malade c’est vraiment pour l’homme vivre d’une autre vie, même au sens biologique du mot. Pour en revenir encore une fois au diabète, la maladie n’est pas du rein, par la glycosurie, ni du pancréas par l’hypoinsulinémie, ni de l’hypophyse ; la maladie est de l’organisme dont toutes les fonctions sont changées, que la tuberculose menace, dont les infections suppurées n’en finissent plus, dont l’artérite et la gangrène rendent les membres inutilisables, et plus encore la maladie est de l’homme ou de la femme, menacés de coma, souvent frappés d’impuissance ou de stérilité, pour qui la grossesse si elle survient est une catastrophe, dont les larmes – ô ironie des sécrétions ! – sont sucrées.
Georges Canguilhem, Le normal et le pathologique, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 2013, p.64.