Palimpsestes métaphysiques

POLYPHILE.

Tous ces mots, ou défigurés par l’usage ou polis ou même forgés en vue de quelque construction mentale, nous pouvons nous représenter leur figure originelle. Les chimistes obtiennent des réactifs qui font paraître sur le papyrus ou sur le parchemin l’encre effacée. C’est à l’aide de ces réactifs qu’on lit les palimpsestes.

Si l’on appliquait un procédé analogue aux écrits des métaphysiciens, si l’on mettait en lumière le sens primitif et concret qui demeure invisible et présent sous le sens abstrait et nouveau, on trouverait des idées bien étranges et parfois peut-être instructives.

Essayons, si vous voulez, Ariste, de rendre la forme et la couleur, la vie première aux mots qui composent la phrase de mon petit Manuel : L’âme possède Dieu dans la mesure où elle participe de l’absolu.

En cette tentative, la grammaire comparée nous portera le même secours que le réactif chimique offre aux déchiffreurs de palimpsestes. Elle nous fera voir le sens que présentait cette dizaine de mots, non point sans doute à l’origine du langage, qui se perd dans les ombres du passé, mais du moins à une époque bien antérieure à tout souvenir historique.

Ame, Dieu, mesure , posséder, participer, peuvent être ramenés à leur signification aryenne. Absolu se laisse décomposer en ses éléments antiques. Or, en redonnant à ces mots leur jeune et clair visage, voici, sauf erreur, ce que nous obtenons : Le souffle est assis sur celui qui brille, au boisseau du don qu’il reçoit en ce qui est tout délié.

ARISTE

Pensez-vous, Polyphile, qu’il y ait de grandes conséquences à tirer de cela ?

Anatole France, Le Jardin d’Épicure, Paris, Calmann-Lévy, 1895, p. 257-259.

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