Le vent
Sitôt debout et le pied dans la piste, il a fallu compter avec le vent. Il venait bien en face et il leur a plaqué sa grande main tiède sur la bouche ; comme pour les empêcher de respirer. Ils ont l’habitude ; ils ont un peu tourné la figure pour boire l’air sur le côté comme les nageurs et de cette façon, ils ont pu aller assez loin. C’est pénible mais ça va. Alors, le vent s’est mis à leur gratter les yeux avec ses ongles. Puis il a essayé de les déshabiller ; il a presque enlevé la veste à Gédémus. Arsule tire la bricole et pour ça, elle s’est penchée en avant. Le vent entre dans son corsage comme chez lui. Il lui coule entre les seins, il lui descend sur le ventre comme une main ; il lui coule entre les cuisses ; il lui baigne toutes les cuisses, il la rafraîchit comme un bain. Elle a les reins et les hanches mouillés de vent. Elle le sent sur elle, frais, oui, mais tiède aussi et comme plein de fleurs, et tout en chatouilles, comme si on la fouettait avec des poignées de foin ; ce qui se fait pour les fenaisons, et ça agace les femmes, oh ! oui, et les hommes le savent bien.
Et tout d’un coup, elle se met à penser aux hommes. C’est ce vent aussi qui fait l’homme, depuis un moment.
Gédémus monte en deux sauts jusqu’à la hauteur d’Arsule :
— Tu n’as plus rien vu ?
Il est inquiet, on dirait.
Arsule tourne vers lui un œil tendre et caressant :
— Non, plus rien.
Son corps est en travail comme du vin nouveau.
Jean Giono, Regain, Paris, Le Livre de Poche, 1995, pp. 47-48.