La boîte

Il rêve qu’il pénètre de nouveau dans la cuisine ; l’ampoule électrique n’est pas allumée, ce sont les objets eux-mêmes qui émettent la lumière, légèrement phosphorescente, qui règne ici. 

Il avance avec précaution, comme si l’écrasante solitude de la pièce recelait un piège à chaque pas. La boîte, en métal rouge, se trouve sur la troisième planche du placard ; il n’a pas besoin de l’avoir vérifié pour en être certain, ni pour savoir ce que représente son couvercle : une partie de polo avec des cavaliers aux maillots bleu et blanc, blanc et rouge. 

Autrefois, la boîte a contenu des biscuits d’une saveur si exquise qu’elle lui communiquait le vertige. Le goût des biscuits, les joueurs aux maillots rayés et un autre élément — visuel, sonore, tactile ? — formaient un tout inséparable. S’il parvenait à reconquérir sur l’oubli ce troisième élément, peut-être le miracle se produirait-il : cela qui, voici trente-cinq, quarante ans, donnait à l’ensemble son pouvoir d’enchanter. 

La boîte rouge — mais est-ce la même ? — ne renferme plus aujourd’hui que des clous, des « poignées » pour les paquets, de la ficelle, des sous de bronze percés, un vieux tube de seccotine ; la gravure du couvercle est tellement écaillée qu’on ne distingue plus guère les joueurs de polo. 

Tandis qu’il s’approche du placard, il se rappelle qu’il est revenu d’innombrables fois dans la cuisine déserte et que la même scène, d’innombrables fois, s’est renouvelée : prendre un escabeau pour atteindre la boîte, l’ouvrir, s’assurer de son dérisoire contenu, la refermer, remettre l’escabeau à sa place. Cependant, un espoir absurde lui enjoint d’accomplir encore ces gestes inutiles. 

Ses parents sont-ils morts ou dorment-ils toujours là-haut ? A-t-on vendu la maison ? Combien d’années se sont-elles écoulées depuis sa première recherche de la boîte ? — autant de questions qu’il se pose, mais sans grand intérêt, comme un visiteur fortuit. 

Il monte sur l’escabeau, saisit la boîte — et déjà, à voir l’inimitable brillant du couvercle et les joueurs dans leur neuf, il sait qu’il touche au but. Sous leur papier d’argent, les biscuits au goût magique sont bien là, intacts, à la place des bouts de ficelle, du tube de colle momifié. Quelque chose se casse dans la durée ; il éprouve l’impression de se noyer dans un tourbillon du temps. Une ou deux secondes ; assez pour comprendre qu’il a rêvé ses multiples retours sur le passé, et qu’il les rêve encore ; qu’il s’invente perpétuellement lui-même ; qu’il retournera maintes fois dans la cuisine, à la recherche d’une boîte au contenu variable — et que la course-poursuite n’aura pas de fin. 

Il perd conscience, puis se retrouve dans la peau d’un petit employé que l’heure matinale du bureau harcèle et qui ne pourra jamais léguer à personne son modeste trésor.

André Hardellet, Les Chasseurs, Paris, Pauvert, 1966, pp. 55-57.

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