Le gardeur de troupeaux IX

IX

Je suis un gardeur de troupeaux.

Le troupeau ce sont mes pensées

Et mes pensées sont toutes des sensations.

Je pense par les yeux et par les oreilles

Je pense par les mains et par les pieds

Je pense par le nez et par la bouche.

Penser une fleur c’est la voir et la respirer

Manger un fruit c’est en connaître le sens.

C’est, quand par un jour de chaleur

Je me sens triste de tant le savourer,

Que je m’allonge dans l’herbe

Et que je ferme mes yeux brûlants.

Je sens tout mon corps couché dans la réalité,

Je connais la réalité et je suis heureux.

mars 1914

Fernando Pessoa, Le gardeur de troupeaux, trad. Jean-Louis Giovanni, Rémy Hourcade et Fabienne Vallin, Paris, Éditions Unes, 2018, IX.

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