Le visible et l’audible
Inéluctable modalité du visible : ça du moins, sinon plus, pensé par mes yeux. Signatures de toutes choses que je suis venu lire ici, frai marin, varech marin, marée montante, ce godillot rouilleux. Vert-morve, argentbleu, rouille : signes colorés. Limites du diaphane. Mais il ajoute : dans les corps. C’est donc qu’il avait conscience d’eux corps avant celle d’eux colorés. Comment ? En s’y cognant la tronche, pardi. Tout doux. Chauve qu’il était, et millionnaire, maestro di color che sanno. Limite du diaphane dans. Pourquoi dans ? Diaphane, adiaphane. Si l’on peut passer les cinq doigts au travers, c’est une grille, sinon une porte. Ferme les yeux et vois.
Stephen ferma les yeux pour entendre varech et coquillages s’écraser craquant sous ses godillots. Et ores donc, tu es bien en train de marcher au travers. Je le suis bien, un pas à la fois. Infime espace de temps traversant d’infimes moments d’espace. Cinq, six : le nacheinander. Exactement : et voilà l’inéluctable modalité de l’audible. Ouvre les yeux. Non. Doux Jésus ! Et si je tombais d’une falaise surplombant sa base, traversant dans ma chute tout le nebeneinander inéluctablement ! Je me débrouille pas mal dans le noir. Ma frêne épée pend à mon flanc. Tape devant : c’est ce qu’ils font. Mes deux pieds dans ses godillots arrivent au bout de ses jambes, nebeneinander. Ça sonne pas toc : l’ouvrage du maillet de Los demiurgos. Suis-je là en marche vers l’éternité, longeant la grève de Sandymount ? Crish, crac, cric, cric. Ici monnaie de mer sauvage. Deasy le magister y les connaît ben.
Veux pas v’nir à Sandymount,
Ma-deline la jument ?
James Joyce, Ulysse, Traduction et édition sous la direction de Jacques Aubert, Paris, Gallimard, « Folio classique », 2013, pp. 96-97.