Malone se dilate
Car mon cul, par exemple, qu’on ne peut accuser d’être la fin de quoi que ce soit, à moins qu’on ne veuille y voir le bout des lèvres, s’il se mettait à chier à l’heure qu’il est, ce qui m’étonnerait, je crois vraiment qu’on verrait les copeaux sortir en Australie. Et si je devais me mettre encore une fois debout, ce dont Dieu me préserve, je remplirais une bonne partie de l’univers, il me semble, oh pas plus qu’allongé, mais ça se remarquerait davantage. Car je l’ai toujours remarqué, le meilleur moyen de ne pas se faire remarquer c’est de s’aplatir et de ne plus bouger. Et voilà, moi qui ai toujours cru que j’irais en me ratatinant, jusqu’à finir par pouvoir être enterré dans un écrin à bijou presque, voilà que je me dilate.
Samuel Beckett, Malone meurt, Paris, Éd. de Minuit, « Double », 2014 (1951), pp. 97-98.