Un interrogatoire

dans les chambrées où le bambou ondule sous le vent auroral, les soldats insomniaques, nus, assis en tailleur sur leurs paillasses, épouillent leur sexe teint ; un suspect, adolescent surpris à lire un western conchié, devant la tente, est jeté torse nu dans le poste : sur sa joue, sur ses seins, sur son ventre, marques de mains, d’interstices, dans le sang ; le sergent coiffe sa tête ensanglantée du seau de café vide ; le sucre colle aux cheveux du suspect, sillonne le sang, comble les oreilles; un soldat de corvée, treillis effiloché sur son fessier cambré, rapporte du chiotte le gourdin excrémentiel, il frappe trois fois l’épaule du suspect, sept fois sa mâchoire avec le bout du bâton enduit de crésyl, le lui fait tenir au poing ; un chauffeur prend dans son camion une clef, une manivelle ; avec la clef, il ouvre la mâchoire crispée du suspect, se déboutonne, pisse entre ses lèvres déchirées ; redressant le suspect de trois coups de clef frappés sur la gorge, il lui enfonce la manivelle à travers une déchirure du treillis, entre les fesses ; tous les soldats levés érubescents de leurs paillasses, saisissent la manivelle, la retournent dans le cul du suspect ; le suspect, sa tête renversée, toute ensalivée, sur l’épaule, occiput attouchant la braguette étayée de ses tourmenteurs, ses lèvres refoulant la salive excrémentielle, resserre ses dents sur la clef ; la pointe de la manivelle force ses reins ; le chauffeur la retire ensanglantée, il la jette hors du poste, la frotte aux sacs de sable de l’enceinte ; le suspect, pâmé, s’effondre sur la paillasse ; les soldats, crachant, pétant, le déboutonnent ; avec le canon du fusil, ils soulèvent son membre, le rabattent sur le ventre où le soulier clouté du sergent le tient écrasé ; un soldat roux, yeux excavés, gland sorti coincé violet entre deux boutons ébréchés de la braguette, se penche, empoigne les boules sécrétives, les noue dans un chiffon souillé tiré de sous la paillasse ; ses doigts caressent la petite gorge formée à la racine du membre pressé où prennent les membranes liées ;

Pierre Guyotat, Éden, Éden, Éden, Paris, Gallimard, coll. « L’imaginaire », 1967, pp.28-29.

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