La plainte commune

Ceux qui vraiment n’en pouvaient plus se laissaient tomber sur le bord du chemin, ou là, simplement. Houspillés, secoués, ils essayaient de se remettre sur pied et de se retrouver une place dans la file. Mais c’était trop. Ils retombaient et, s’ils ne se garaient pas, les autres et les chevaux et les chariots leur passaient dessus. Ainsi, en vérité, sourdit la plainte plus haute, celle des hommes désagrégés, abandonnés. Elle s’élevait partout, des bas-côtés et des fossés – un râle roulant, une véhémence rauque et agonique de poitrines rompues, de gorges déchirées, à travers quoi continuait de défiler la lourde colonne des valides ; mais ils seraient bientôt vaincus, eux aussi, et d’autres les piétineraient et les écraseraient et leurs plaintes particulières pourraient alors se mêler au chœur de la plainte et enfler le ciel d’une douleur plus grande et d’une clameur sans écho.

Claude Louis-Combet, Blesse, ronce noire, Paris, José Corti, coll. « Les massicotés », 2004, pp.58-60.

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