L’antre maternel

Ce fut l’un de ces mauvais lieux minables qui n’ont pas de façade sur la rue, mais qui s’ouvrent dans la pénombre puante des arrière-cours. La désolation de l’endroit le rassurait. C’était, pour ainsi dire, un paysage spirituel qui s’offrait là, de débauche misérable, de crasse illuminée de rires éraillés et de tendresse factice. Les oripeaux de ces dames se ramenaient à peu de chose : une paire de bas noirs, des froufrous avachis. Quelques-unes, complètement nues, somnolaient ou fumaient sur des sofas élimés – vastes corps bouffis, seins ballottants, pubis exubérants, cuisses veinulées et cireuses couvrant de leurs replis la fondrière du sexe : une assemblée ou un ramassis de mères plus encore que de femmes, aux chairs violacées et fortes de cadavres surchauffés. Mais telle était la voie, le seuil était franchi, telle était l’étape sur la voie – et le grand moment de solitude du désir impartageable.

Quand le jeune homme correct et dur fit son apparition dans le salon, les puissantes femelles vinrent en nombre le cueillir. Elles s’empressèrent, jacassèrent, ondulèrent, dispensant sans réserve leurs moites caresses et leurs baisers lécheurs. Et lui, béat, comme jamais, d’être enfin proie, se laissa étendre et se laissa prendre, dans le roulis des chaleurs et des senteurs et dans l’infinie profusion des chairs. Il fut bercé, noyé, enfoui, dissous, annulé, sucé jusqu’à la moelle, rendu jusqu’à la gorge, laminé dans les cavernes du cerveau. Il n’aurait pu dire laquelle des femmes l’avait violé. S’il avait appartenu, ce n’avait été qu’à la marée déferlante des embrassements, enlacements, étreintes et mises à plat des organes et des membres, dans la charge poussée des groins et des croupes : toute une nuit, de la première à la dernière heure – et une enfance balayée dans le suint et l’ahan. La meute maternelle l’avait d’un coup assailli et ravagé. Il était, à présent, une béance et une loque, rien moins qu’un petit mâle au zénith.

Il ne sortit de là, à l’aube des ectoplasmes et des embryons, que pour revenir, les nuits suivantes, avec l’obstination véhémente d’un stupéfié. Il avait, soudain, et entièrement, découvert l’autre drogue, celle qui roulait dans son flux les constructions éblouies de l’alcool et qui le ramenait à la stupeur et à la torpeur des origines – le sexe hors de beauté, le rut hors de sentiment, le spasme extatique hors de toute contemplation. Et tout comme il affectionnait les boissons incendiaires qui torturent le goût sans le remplir, il se soumit à des vulves excessives qui le malaxèrent tout entier et l’épuisèrent sans jamais entamer ce noyau de virginité autour duquel son cœur s’était construit et qui s’exprimait plus lumineusement que jamais dans les poèmes de rêve et de folie qu’il écrivait pour sa sœur et dont il lui envoyait, de loin en loin, pour la frapper au centre, quelques vers hermétiques d’une musique chargée de mélancolie.

Claude Louis-Combet, Blesse, ronce noire, Paris, José Corti, coll. « Les massicotés », 2004, pp.45-46.

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