Une amande fendue
Alors, comme la lumière se mourait enfin d’être rendue à la terre immédiate, le garçon appuya légèrement sa main sur la poitrine de sa sœur. Il pouvait entendre, à travers sa paume, tout le frémissement de la vie et la palpitante plénitude du secret. Il resta ainsi, le temps d’un souffle, puis il s’en prit à la robe qu’il rabattit et roula sur les hanches. En un mouvement décisif, sa petite sœur l’aida. Elle souleva ses reins et elle les souleva encore lorsque son frère s’appliqua à faire glisser le pantalon. Elle n’était comme toujours ni souriante ni apeurée. Son visage exprimait une âme sérieuse, attentive et réceptive, plus vigilante que béatement sereine. Elle n’avait que cinq ans mais elle avait déjà beaucoup pensé et s’était aventurée loin en elle-même. Elle se laissa donc dépouiller le bas du corps et, tout le temps, regarda dans le miroir son frère qui la regardait.
Il n’y eut rien de plus. Le garçon n’avait pas d’autre intention que de remplir sa vue, une fois, librement et pleinement, et de la combler tout entière de cette image d’amande fendue délicatement logée entre ventre et cuisses. Un regard seulement, un long regard tandis que le jour s’absentait, juste le temps nécessaire pour que s’éveille l’adoration.
Le corps était à la fois clos et ouvert, offert et réservé. Il n’était ni indécent ni outragé mais singulier, en vérité. Le dessin du sexe paraissait ici, dans l’insolite complicité des enfants, plus pur, plus modelé et infiniment plus émouvant que le garçon ne l’aurait cru, lui qui avait plus d’une fois aperçu la nudité de la fillette dans les soins de toilette. Ailleurs, au clair du jour et des actes ordinaires de la vie familiale, la marque puérile de la féminité était comme abolie dans le commun, sans attention ni secret. Mais ici, sous le regard seul et dans le miroir que l’obscurité envahissait, la petite fente charnelle de la sœur avait une présence bouleversante, entièrement nocturne. La fillette devait bien le sentir, au reste, car elle ne s’agitait pas, ne s’impatientait pas. Elle abondait, de toutes parts d’elle-même et des plus lointaines, en cette monstration. Cela, jusqu’à ce que la nuit fût complètement tombée. Alors, la ténèbre extérieure ayant rejoint leur ténèbre intérieure – telle que leurs actes et leurs gestes l’avaient figurée – les enfants s’aperçurent qu’ils étaient seuls. Ils éprouvèrent, comme une morsure du cœur, à quel point ils se trouvaient interdits de désir entre eux et contre quoi il leur faudrait se dresser s’ils voulaient se retrouver un jour au seul miroir de leur destin. L’aîné aida la petite à se rhabiller, puis il la prit par la main et ils sortirent ensemble, à tâtons, comme des aveugles.
Claude Louis-Combet, Blesse, ronce noire, Paris, José Corti, coll. « Les massicotés », 2004, pp.19-20.