La voûte
Ici, comme à côté, comme tout le long de la rue, comme tout le long de toutes les petites rues du village, comme dans toutes ces maisons isolées du quartier des Pelousères, les écuries énormes sont voûtées, se touchent toutes, s’arc-boutent les unes contre les autres, non seulement par les piliers, les murs maîtres, les clefs qui s’enchevêtrent de voûte à voûte sans se soucier de propriétaires : de Jacques, Pierre, Paul, mais, dans tout le village il y a un entremêlement souterrain de bruits, de bridons, de bat-flanc, de bêlements, de fers, de fourches, de seaux d’eau, de suintements, d’auges, de mots, de noms de bêtes : Bijou, Cavale, et Rousse, et Grise : tout ça avec le bon sens que donne aux choses humaines l’englobement des voûtes de cavernes. Ces cavernes qui ont été la première armure et dont on retrouve ce soir la magnifique protection. Oui, il faudrait beaucoup d’enfants, et des mâles, et de grands mâles, et il faudrait habiter ces étables voûtées, ces cavernes où l’on se sent parfaitement à l’abri ; non pas ces murs droits, ces angles comme là-haut qui font carton, qui font pas solide, qui font pas sérieux, qui font 1843, moderne ; pendant que, dehors, dans des temps qui ne sont pas modernes mais éternels, rôdent les menaces éternelles. Ce qui est bon, c’est la voûte, c’est la chaleur des bêtes, c’est l’odeur des bêtes, c’est le bruit de la mâchoire qui mâche le foin ; c’est voir ces grands beaux ventres de bêtes paisibles. C’est ici, vraiment, que ça fait famille et humanité ; et père a laissé son fusil contre le bat-flanc, et mère caresse les cheveux de petite sœur.
Jean Giono, Un roi sans divertissement, Paris, Gallimard, coll. « folio », 1948, pp.27-28.