Le silence nécessaire
30
Si la coupe contenait toute la mer, si l’œuvre d’art contenait toute l’opulence, l’éternité leur serait accordée. Mais en fait, il faut dans l’art que les styles se succèdent, comme font dans les royaumes les dynasties, et dans la nature les familles animales. Dans l’œuvre d’art, on pressent ce qui dépasse toute estimation. Dès qu’un style se rapproche de la perfection, l’homme reconnaît, dans son atelier secret, que l’œuvre d’art, désormais accessible à l’estimation, n’est plus un témoignage suffisant. Il va donc tout recommencer sur nouveaux frais, apprenti, bégayant, iconoclaste qui renverse trônes et statues.
Tout ce qu’on peut estimer vit de l’inestimable, comme tout le visible de l’obscurité, tout le mesurable de l’immense, comme vit du désert le chemin et du silence le Verbe.
Ernst Jünger, Le contemplateur solitaire, trad. Henri Plard, Paris, Grasset, 1975, p.270.