Ô juste, subtil et puissant opium

Ô juste, subtil et puissant opium ! toi qui, au cœur du pauvre comme du riche, pour les blessures qui ne se cicatriseront jamais, et pour « les angoisses qui induisent l’esprit en rébellion », apportes un baume adoucissant ; éloquent opium ! toi qui, par ta puissante rhétorique, désarmes les résolutions de la rage et qui, pour une nuit, rends à l’homme coupable les espérances de sa jeunesse et ses anciennes mains pures de sang ; qui, à l’homme orgueilleux, donnes un oubli passager

Des torts non redressés et des insultes non vengées ;

qui cites les faux témoins au tribunal des rêves pour le triomphe de l’innocence immolée ; qui confonds le parjure ; qui annules les sentences des juges iniques ; tu bâtis sur le sein des ténèbres, à l’aide des matériaux imaginaires du cerveau, avec un art plus profond que celui de Phidias et de Praxitèle, des cités et des temples qui dépassent en splendeur Babylone et Hékatompyle ; et « du chaos d’un sommeil plein de songes », tu évoques à la lumière du soleil les visages des beautés depuis longtemps ensevelies, et les physionomies familières et bénies, nettoyées des « outrages de la tombe ». Toi seul tu donnes à l’homme ces trésors, et tu possèdes les clefs du paradis, ô juste, subtil et puissant opium !

Thomas de Quincey, Les confessions d’un mangeur d’opium anglais, trad. Pierre Leyris, Paris, Gallimard, coll. « L’imaginaire », 1990, pp.107-108.

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