La tâche d’inexister
Par Yves Bonnefoy
On me parlait d’une civilisation dotée de tous les moyens du marbrier, du fondeur, et qui était l’héritière d’un art classique aimant placer des éphèbes nus, des Korés, aux carrefours de ses villes ou dans la pénombre des temples. Mais cette nouvelle époque ne voulait plus de statues. Elle n’avait que des socles vides où parfois on faisait un feu que courbait le vent de la mer. Les philosophes disaient que c’est là, ces emplacements déserts, les seules œuvres qui vaillent : assumant, parmi les foules naïves, la tâche d’inexister.
Yves Bonnefoy, Les planches courbes, Paris, Gallimard, coll. « nrf », 2001, p.209.