El profesor

            Il est, comme tant d’autres, du type lombric : long cou finissant en une tête ronde et annelée. Il est économiste, c’est-à-dire rien. Et comme tout bon économiste, il invente et réinvente l’eau chaude : on ne peut à la fois nager et jouer au foot, c’est ce qu’ils appellent le coût d’opportunité ; on a moins de plaisir au deuxième cookie qu’au premier et encore moins au troisième, c’est ce qu’ils nomment l’utilité marginale décroissante. Aride comme nom ? Rien de plus normal : c’est scientifique. Car oui, ils sont scientifiques, et le nôtre l’est particulièrement. C’est un haut gradé de la science, un économiste émérite. Beaucoup, il réfléchit beaucoup. Sa spécialité c’est la microéconomie. Il n’a donc pas de thèse, il a des formules, des formules déjà préparées, prêtes à l’application. C’est exigeant comme travail : il calcule et recalcule les formules. Le lendemain, pareil, il calcule et recalcule les formules. Le surlendemain aussi, et le jour d’après. Mais « All work and no play makes Jack a Dull boy » comme le dit ce classique américain qu’il aime beaucoup.

            Pour se divertir, il aime bien regarder la Casa de Papel, il se croit, s’imagine et se rêve el profesor – après tout c’est son titre, professeur, et en plus, il en sait des choses sur la monnaie. C’est son moment détente. Netflix and chill, disent les Américains. Malheureusement, il n’y arrive pas aussi bien que ses copains de Berkeley. Il ne sait pas bien pourquoi. Pourtant, il tente. À chaque fois, devant Netflix et à côté de sa femme, il tente. De son bras tout fin d’asticot, il creuse une galerie sous la couette et se dirige vers elle, vers l’Inamovible. Ses doigts maigres et osseux frôlent la chose. Elle est en robe de chambre, enfin, en peignoir, ce peignoir qu’il lui a acheté au Massachusetts, velours des deux côté, doublé de plumes d’oie, chaleur garantie, léger, technologique. Au toucher, on dirait une grosse pantoufle. Mais c’est pas grave, il aime bien ça. Oui, il aime bien, le Wasmer, lorsque son sucre d’orge – comme il l’appelle – est emmailloté dans son cadeau à lui, il se sent important, se sent viril et protecteur. Grâce à lui, le sucre d’orge n’a pas froid.

            À la télé, el profesor a tout prévu, il a toujours un coup d’avance. Wasmer se dit que c’est le moment, le moment ou jamais de susciter l’admiration de l’Inamovible, il se lance donc : « tu savais, mon roudoudou, que mes élèves m’appellent el profesor ? – Oui, tu me l’as déjà dit, lui répond le sucre d’orge ». Ça l’embête pas Wasmer, c’est un optimiste, il croit en la croissance, aux futurs meilleurs. Il est ravi, il a désormais toute une main dans le gigantesque pull-over. C’est chaud et agréable. Ils savent vraiment s’y faire, ces Américains. Voilà un peuple industrieux et travailleur, se dit-il. Mais surtout, voilà un peuple innovateur, toujours une idée en tête, un Ipad à inventer. La Chine ne rattrapera pas son retard de sitôt. Même lorsque les PIB s’égaliseront, les États-Unis resteront plus dynamiques, il en est certain. Tout en se parlant, le Wasmer pelote le tas de velours échoué à ses côtés. C’est là qu’il comprend qu’il ne pelote pas bien, pas bien du tout, qu’il s’est perdu. Il n’est pas l’heure de la Chine, il est l’heure du Netflix and chill. Il reprend donc de plus belle, il tâte pour y reconnaître quelque chose, se perd dans les plis de l’Inamovible, dans les plumes d’oies, sa main est trop maigre, l’autre trop grande, il ne se repère pas bien… quoique… ça y est, il déniche un rond, se dit que c’est pas mal, que ça doit être un sein, il appuie dessus, pince et tourne comme un gros bouton – c’était rien que du velours. Faut persévérer se dit-il, c’est comme ça qu’il a fait Rockefeller. Il cherche donc, fouille, gratte, creuse, ça y est ! la texture semble différente… il fait encore plus chaud… c’est bon, c’est ça, c’est le bas-ventre dodu, l’effrayante fourrure, la jungle trois fois pliée. Il a peur, se sent pas de taille. Il est tout frêle après tout. La chose est gigantesque : des poils épais, tordus, un ventre blanc et puissant qui les écrase. Il est tout moite, le Wasmer, il sue à grosses gouttes. « Respire, respire qu’il se dit. Qu’aurait fait Steve Jobs à ta place ? » Et là, galvanisé par le Jobs, il y va, frappe un gros coup : Bam, dedans ! Le sucre d’orge n’a pas dit ouf qu’il se met à frotter ! Il frotte et frotte ! se dit qu’il faut que le sang monte ! que c’est comme ça que ça marche ! Il lui faut le clito. Il trouve pas, c’est pas éclairé… Alors encore plus fort, il y va : il frotte et récure, récure et frotte, joue de la guitare bandolero, allume presqu’un feu !… Mais l’autre, le terrifiant peignoir, a repris ses esprits, et elle le balance d’une tarte à l’autre bout du lit : Non ! Non ! Non ! qu’elle dit. C’est toujours comme ça : non non non… Il se demande comment ils font les pauvres, eux qui n’ont pas sa situation. Déjà que pour lui c’est toujours : non non non. Recroquevillé en un coin, il est triste le Wasmer. Il pleure du zizi.