Le colon
Notre bête d’aujourd’hui est un homme défait. Sa défaite se voit d’abord sur sa tronche qui suit le tracé d’une octave entière, de do à do en un ovale parfait et gras, mais aussi dans sa vie. Lui que nous connûmes jadis plein d’entrain, fraichement marié, fraichement papa, et que nous connaissons aujourd’hui, moisi à côté de sa blonde, mimant le papa content : hue-hue la galipette.
Andy Warhol disait que l’apogée d’une vie ne dure pas plus de quelques secondes. Pour notre Colon, car c’est là, sans aucune invention de ma part, son nom, ce ne fut pas bien plus que l’image d’un seuil, le doux reflet d’un inatteignable : il aurait pu être, mais il n’a pas été, et ne sera jamais, c’est là tout ce qu’il a comme instants glorieux. En effet, notre Colon, en bon universitaire, en sage universitaire sans remous, voulait le grade ultime de sa carrière, l’équivalent du président directeur général en entreprise, il voulait la direction de son université d’attache. Mais il a raté et depuis il vit comme un rot bloqué, comme un gaz qui gratte les entrailles et les chatouille, qui voudrait bien sortir, aller voir l’air frais et les libellules, mais qui ne peut pas et qui reste donc comme ça, bête, ahuri, au seuil.
Faut en plus voir contre qui il a raté, contre une sorte de mannequin, le modèle initial des statues en cire de chez Tussauds : l’homme parfaitement lisse, mais – comme bien souvent vous me direz – lisse jusqu’au jour où l’on apprend que derrière sa peau sans taches et sans duvet, derrière son costume au soin mathématique, il cautionnait un ami qui avait pour coutume – et excusez mon langage cru car il faut dire les choses comme elles sont et je n’ai trouvé de mot plus juste – d’enculer les petits garçons, oui, vous avez bien entendu, de les enculer, c’est bien ça, enculer, mais aussi lécher, lécher ces petits coins auxquels les parents donnent des noms affectueux, des noms en pépettes et en kékettes. Enfin, vous me dispenserez bien des dessins.
Alors voyez, quand ça vole si bas, quand on est que le perdant de l’homme-lisse, qui lui-même n’est rien d’autre que l’ami du tâteur d’enfants, on doit bien s’inventer quelque chose, se donner une vie, des raisons pour se justifier. Le nôtre, le tout-bouffi, la tronche à octave, l’homme à la tête disproportionnée au corps et à la glotte disproportionnée à la tête, a décidé, lui, de se faire spécialiste des guerres d’informations : tiktok, les Chinois, Elon Musk, les Russes…
Alors là, notre Colon, il y va, profite à fond du contexte : Ukraine, Gaza, Taiwan… Il écrit ses livres en deux deux, exactement comme en ces fins de diarrhée où l’on n’a plus foi ni au PQ ni au fait de se torcher, où l’on s’abandonne à la simple coulure et à l’évidement, où l’on se dit que c’est comme boire de l’eau mais à l’envers, et puis il l’envoie, le petit paquet, la marmelade de son génie, il l’envoie aux ministres, aux sous-ministres, aux sous-sous-ministres et même au président Macron, puis il donne des interviews à qui veut, aux journalistes gros et petits, à ceux de province comme de Paris, et il dit qu’il y a tout dans son livre, qu’il y a tout ce qui explique tout à tout. Et c’est là, pris dans le tourbillon de son propre pet, qu’il s’imagine être l’objet d’attaques des adversaires ensanglantés et maléfiques, à cornes et à biquettes, de la Liberté et de la Démocratie, qu’il s’imagine, lui, le absolument personne, le rien de Saou, la fiente sur le parebrise qui ne dérange même pas, être espionné par Xi Jinping lui-même, par Vladimir aussi, Vladimir Vlaimirovitch Poutine de son nom du KGB.
Mais, juste, il faudrait qu’un jour quelqu’un lui dise : Xi et Poutine n’en ont rien à carrer de ton livre, ils ne savent même pas qu’il existe. À vrai dire, pour être franchement honnête, personne n’en a rien à carrer. Et si, comme tu le dis, ton mobilephone est effectivement tombé en panne, eh bien… mon gars, c’est des choses qui arrivent, ça s’appelle la vie, mais, s’il-te-plaît, ne fais pas croire que c’est un coup de Xi. Tu l’as fait tomber dans ton bain. Ne mens pas.
Maintenant, il est encore plus fier le Colon, non seulement son mobilephone a été hacké par Xi lui-même, mais en plus son livre se vend bien. Et il le fait savoir, ça, vous vous en doutez qu’il le fait savoir, l’humilité c’est pas le genre de la maison. C’est donc une mise à jour minute par minute pour le voir grimper dans l’échelle des essais, c’est-à-dire le cabinet à farce et attrape du docteur manchot. Et ça aussi faudrait lui demander : Es-tu vraiment heureux d’avoir piqué la place de cette dame qui nous explique comment exploiter ses énergies tantriques après une ménopause difficile ? Es-tu content d’être désormais juste derrière les vertus diurétiques de la mangue, sa capacité formidable à faire pisser même les prostates les plus farouches ?
Enfin, vous me direz que le Colon a l’avantage de nous faire voir l’immense humour de Dieu. Cet homme a pris la grosse tête, mais au lieu de le punir de chaudrons et de tridents, Dieu a décidé de le punir par ce qu’il est, de le punir précisément par la grosse tête, par cette double poire flasque et juteuse, un peu avariée, un peu moustique, que désormais notre professeur aura à la place de la tête.