Fil

Fil étrangle, mince coulée

noue nos cous lâches de défunts

vies qui désertent les vis en tringle

comme guirlandes de têtes pendues

la corde souple épouse du vent

fait bal en poupe des corps de mousse

seule nous retient la pince à linge

telle au poteau la laisse du chien.

Le vieux persan voulait le tapis parfait : un seul fil pour un seul monde, un seul fil pour un seul Dieu. Si le Créateur a pétri la friche unique du vide afin d’en sortir, non seulement la matière, mais aussi les coloris, les teintes, les formes et jusqu’à même la texture qui rend le duvet féminin et le pelage des petits chiots si agréables au toucher alors que du même mouvement elle rend les écorces de crapauds et le poil des garçons si profondément désagréables, il est nécessaire que le meilleur tapis soit tapis d’un seul fil. Ainsi donc les nœuds, les tresses et tout autre entrelac seraient bienvenus alors que couteaux, ciseaux et lames seraient strictement interdits. Le vieux sage se disait que couper le fil serait comme, pour le créateur, créer une impasse dans l’univers, un lieu où l’homme qui s’y tiendrait chancellerait au vide. Il se dit donc, toujours en bon vieux persan, qu’il lui faudrait autant de noeuds que d’âge et autant de tresses que de temps. Et comme il ne savait compter jusque là, il dit « des milliers et plus », « beaucoup » et encore « beaucoup ». Et, comme il était de condition mortelle, de nœud il n’arriva à en faire qu’un seul.

Fil étrangle, mince coulée

noue nos cous lâches de défunts

vies qui désertent les vis en tringle

comme guirlandes de têtes pendues

la corde souple épouse du vent

fait bal en poupe des corps de mousse

seule nous retient la pince à linge

telle au poteau la laisse du chien.

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