Filtre
Le filtre est avant tout un rapport au temps. Plus précisément, c’est la dissection du préalable au suivant. D’un côté il y a la lie, de l’autre le vin clairet. C’est un rapport uniquement sous le principe du pur : engeance plus vigoureuse qu’aïeuls, tamis séparant l’or de la pierraille. Plus on croit au brut et au robuste, à la farfouille calleuse des choses, moins on estime le filtre digne de confiance – jugeant avec sévérité sa déraison à tuer le moindre grumeau. Au contraire, plus on aime l’épuré, l’esquisse et la ligne, plus l’on s’en fait partisan. Si l’on suit Aristote, le juste filtre chancellerait quelque part entre la pâte des couleurs et la géométrie du trait, entre l’impossible fumée et les volutes trop grasses du feu. Bien sûr, chaque option est également nocive : d’un côté il y a la mort, de l’autre une vie lui étant parfaitement semblable. Pour paraphraser un grand maître et dire en peu de mots ce pourquoi on s’éreinte à l’encre, disons que deux choses menacent constamment le monde : le filtre et l’absence de filtre.
Enlever le filtre pour se débarrasser des limites. Fumer à plein poumon l’air du temps présent. Ne pas se ménager, jamais, car dans le filtre sommeille la mort lente. Affronter la mort dans sa réalité nue, froide, brutale. Ne pas craindre la confrontation. Consumer la vie comme brûle le feu au bout du cigare ou de la cigarette. Entretenir la passion. Nous nous brûlerons certes mais de la brûlure nous connaîtrons la raison. Retrouver le corps et avec lui ses intuitions. Entendre à nouveau le cœur battre au carrefour du temps présent. Danser, danser, danser… Il n’y aura plus de filtres inutiles à nos humaines expressions.
Les choses sont ce que l’espace filtre du temps. Regarde perler les gouttes du grand condensateur, les déchets que retient le tamis de l’univers. Mourir, c’est le tout petit grain, une corde lisse. Mourir, c’est être temps.