Fragments du roc errant

J’aime les envers des endroits vagues. Ce sont les lieux mal dits, ceux qu’on explique toujours imprécisément à qui ne connaît pas par-là. Tout au plus des points de cartes, j’admire leur toponymie souple – modérément païenne. 

J’ai grandi près d’une vallée verte, surplombée par un modeste éperon rocheux, qui ne vaut le détour que pour un promeneur voisin. Le plaisir de s’y tenir n’est pas panoramique, mais se confond juste avec le sentiment d’être au-dessus de chez soi.

J’ai vécu ma vie d’enfant sans lui donner de nom. Il y a quelques années, j’ai fini par apprendre qu’il portait le titre citoyen de roc errant. Son nom révèle bien ce que sont ces lieux qu’on emporte avec soi, loin de son foyer. Ces mots me donnent l’envie de dire tous les rocs errants, de remplir mes poches des fragments mélangés de tous ces terrains vagues, d’écrire une toponymie sauvage pour retrouver leurs légendes.

L’autre jour, de retour au pays, j’ai voulu gravir le roc par un versant non familier. Le chemin, au croisement d’une route, était marqué d’un panneau arraché, hélant « Le Roc Errant ». Le poteau de métal était affalé sur un cousin de pierre qui, sûr de sa vérité, corrigeait son cadet avec un doigt en l’air pour souligner sa faute : « Le Château Errant ».

Je ne pourrais dire ce qu’il faut tirer de cette épiphanie : maladie des mots ou magie des lieux. Tout ce que je sais, c’est que, là-haut, il n’y a pas de place pour un château.

Roc errant

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