La fumée
Il suivait des yeux les volutes se dissiper. De ses doigts, un fil brumeux s’échappait lentement vers la transparence, répandant en chemin toutes ses géométries. Si ces arabesques lui avaient toujours paru d’un inlassable érotisme, elles offraient à cet instant un visage nouveau. Arrachée à son état stationnaire, la fumée semblait se tordre indéfiniment contre les assauts du néant. Au point d’incandescence, lourde et dirigée, elle était pourtant tout imprimée du principe qui lui avait donné naissance. Mais à peine s’ouvrait-elle à l’infinité de l’espace étendu qu’elle souffrait visiblement de sa liberté. Ses contorsions avaient tout du remords et de la nostalgie. Quelques instants de lutte, de survie dans l’homogène, avant de fondre vers l’invisible. S’étonnant du sombre cours de ses pensées, il s’efforça de se remémorer l’image banale de la femme fumée. Inutile de se perdre en métaphysique : cette danse d’ombelle ne pouvait être que la manifestation d’un petit démon. Il écrasa contre un cendrier le corps sans vie du génie évaporé. La mécanique de son geste lui laissa pourtant une impression d’étrangeté. Il avait perdu le fil d’Ariane. Et alors qu’il s’efforçait en vain de reprendre ses esprits, seule restait l’empreinte des dernières divagations.