Souvenirs du pays aux monts chauves qui jaunissent en été. Marcher sur son volcan éteint, dans ses vallées que de vieilles fureurs ont sculptées en étoile. Depuis, le relief s’est tanné, comme sablé par les pluies de pierres. Cantal est un aïeul aux yeux cernés, la peau du visage en plis, qui sait que le temps écrase et qu’il faut profiter. 

Au nord, s’effile en dos de lézard le plus curieux des monts. Il semble s’être camouflé, évitant par sa forme le titre de sommet, pour laisser à son frère la grâce des visiteurs. Aussi courbé soit-il, les gens d’ici savent bien qu’il le dépasse d’une tête. J’aime ce vieux dragon pour son nom, Peyre Arse, dans lequel j’ai toujours entrevu son dos de pierre. L’étymologie savante traduit plutôt par pierre brûlée, comme un sédiment verbal de l’éruption originelle. Se forme l’idée qu’un mot puisse être de la lave refroidie, le glyphe d’un immémorial qui précède de loin l’homme et son langage.

Partout, les coulées de lave se sont ridées en plateaux qu’on dénomme planèzes. La plus belle, le Limon, est une steppe d’estive pour vaches de Mongolie, hostile par son espace de friche en proie à tous les vents. Elle est traversée par un vieux chemin de sel qui reliait deux des vallées, avant la route. Sa trace est jalonnée de quiroux – guirlande de cailloux qui guide à portée d’œil les voyageurs confus. J’imagine un collecteur de gabelle, long du manteau, qui, pris dans un écir, tâtonne dans la neige à la recherche d’un repère.

Hors du sentier, s’étend le royaume déchu d’une humanité d’élevage. Seules persistent les ruines d’un ancien buron, cabane à traire des vachers, accroupies sous un maigre contrefort pour échapper au vent. Ces burons sont le résidu solide d’une pratique sans âge. J’ai lu quelque part que leurs ancêtres étaient presque invisibles et éphémères. On les appelait les tra – les trous – car ils étaient creusés à même le sol. Blottis sont les nomades dans le nid de la terre. Il ne subsiste rien de ces terriers de fortune, mais j’imagine parfois en retrouver la silhouette dans les aspérités du plateau.