Que font ceux qui se noient ?
Quelqu’un m’a demandé : Que font ceux qui se noient dans la rivière d’oubli ? Et j’ai vu le monde être créé. Créé comme en cet instant de glycines, cet instant à largeur de milliers d’années où ma couronne de ronces frappe, ceux qui grognent les seuils, de la plus haute gentillesse de l’indifférence. Le soleil met alors son bras de chaleur autour de ma taille et je me renverse comme une juste rivière en son lit. Les glycines, c’est avant de se mettre en marche, c’est le roseau au piège de la roselière, l’impossible nostalgie de ceux qui vivent l’Eden. Mon front de buisson se penche alors au ras de mon être, ce terme d’horizon si semblable à un puits. Là, le godage étrange d’un nuage s’arrime à mon bassin, et, de cette eau flottant en une eau, se lève une cassure qui dit : Oublions le visage ensanglanté des verbes. Je tourne alors à moi-même et vois que mon ventre conjugue Josaphat au passé. Ici, le soleil me tient la main. L’Époux bruine des figements de son sang et moi, devant l’éclat royal de son inquiétude, je me jette de moi-même à moi-même, me jette comme une cascade qui signale son départ à la roche. L’Icarie est ma plaie, le plus qu’ouvert de ma blessure. Ceux qui se tiennent sous ses plumes sentent le vent de l’oiseau qui n’a de branche où se poser – et chacun tape, avec cette promesse matinale, l’épaule de son voisin. Le soleil, lui, se maintient au campement prude de mes forêts. Les chiens, ces vieux loups, ces loups à âge d’homme, jappent sous le grelot des arbres, et les oiseaux s’abêtissent de leur recherche constante. Je peux enfin poser ma couronne de blé et m’allonger comme l’océan qui s’enfouit entre deux rives, ne léchant les berges que de mousses infécondes. L’ailleurs au nom de rade et de port, c’est cela le plus qu’ouvert de ma déchirure, cet impossible dénoncé par ceux qui se promirent un domicile au galbe des nourritures. La lumière entre enfin au péristyle de mon temple, là où les pauvres prêtres mendient de ciboire et disent aux chevaliers : Allez encore, le château se trouve au-devant, nous vous lâchons ici, nous dont la moitié a fait promesse de laideur et l’autre promesse de modestie. C’est là que l’éclaircie chute à l’auréole de mon ombre et pose, de cette langue qui m’embrasse, le pollen de sa question. Pour lui répondre, la sorcière aux yeux de lune lui enlève le poids du midi et pose, à sa mort qui n’est autre que son dessin le plus précis, la gerbe secrète d’une absence de mots. Je lui ordonne : Va plus loin, va aux pays des silhouettes, là où la clarté découpe l’ombre et où tu n’existes que sous la toile des plus vastes nuits. Et c’est là que je me retrouve, trempée dans le bleu de mon lac, vannée par la mélancolie d’une boisson. C’est là qu’est le rendez-vous avec mon corps – libellules qui étoilent l’eau verte des marécages. Je me retrouve, me retrouve comme cette nuit qui se penche sans présents, cette onde qui lèche ta barque et qui veut en boire la soif.
Extrait du chapitre « Miroirs », Poussière du chemin.